Parti sur le sujet les hommes fragiles, François Ozon s’est orienté sur les victimes de pédocriminalité dans l’Eglise suite à la rencontre avec Alexandre Dussot-Herez; confondateur de l’association La Parole libérée. Le film s’est construit sur des documents qui existent depuis le dossier monté par les victimes jusqu’aux aveux du père Preynat, qui a déjà reconnu sa responsabilité. Le titre du film est tiré d’une phrase prononcée par le cardinal Barbarin » Grâce à Dieu, les faits sont prescrits »
Je dois dire que le film donne tellement à faire comprendre par l’émotion le traumatisme, la rage des victimes que lors du procès de Preynat, je l’ai suivi en ayant en tête ce cheminement vers la libération de la parole et le pesant passé.
D’abord enfouissement, le déni. Couver le traumatisme semble être l’attitude protecteur. Fuir ce mal pour continuer à vivre. Tout commence par un déclic. Le même pour Alexandre Guérin et François Debord: découvrir que le père Preynat est encore en contact avec des enfants.
Alors Alexandre Guérin essaie d’abord de faire bouger les choses à l’intérieur de l’église. Il écrit au cardinal Barbarin. Echanges, compassions. Mais quand il s’agit de condamner là il se retrouve face à un mur. Les paroles ne suffisent pas. Il veut des actes. Et une simple demande: que le père Preynat ne soit plus en contact avec des enfants.
Blablablabla c’est trop pour Alexandre Guérin il dépose plainte.
Lui est prescrit. Alors l’enquête va chercher des non-prescrits. Et c’est ainsi que François Debord est contacté. Sa mère avait alerté les autorités religieuses dans les années 90 sur les agissements du père Preynat.
Puis quand on lui fait comprendre qu’il s’attaque à une institution et que ça va être difficile, pour faire remuer l’affaire, il décide de la médiatiser.
Le troisième personnage Emmanuel Thomassin est alerté par la lecture d’un journal donné par sa mère.
Pour une même histoire les réactions sont différentes puisque Alexandre Guérin est resté fidèle au catholicisme, ses enfants font la communion, sa femme enseigne dans un établissement catholique. Alors que François Debord a viré dans un athéisme et un rejet de l’église.
Les obstacles à la libération de la parole sont parfois les proches qui ne comprennent pas ou qui découragent. La mère d’Alexandre Guérin lui sort cette terrible phrase: » tu as toujours été doué pour remuer la merde ». Le frère de François Debord lui sort un soir de Noël « Tu nous emmerdes avec ton histoire de curé ». Le père d’Emmanuel Thomassin lui dit que c’est du passé. Il y a la peur d’une institution. Un boulanger victime n’ose pas en parler de peur de perdre la clientèle très proche du catholicisme lyonnais.
» Il faut être courageux pour parler et affronter les autres « dit Marie Guérin, l’épouse d’Alexandre Guérin.
Ce qui aide la libération de la parole c’est aussi parfois certains proches. Pour Alexandre Guérin, il y a sa femme compréhensive. François Debord est soutenu par ses parents qui sont comme la mère d’Emmanuel Thomassin pétri de remords de n’avoir pas réagi.
Et pardessus tout la solidarité. Ne pas sentir être le seul avoir vécu la même chose. Rencontrer d’autres personnes qui partagent le même ressenti. Conjuguer les voix les douleurs et la transformer en force collective. Ce qui aboutit à la création de l’association « la parole libérée ».
« Pour que ce que j’ai vécu ne se reproduise plus » comme le dit Alexandre Guérin.
Grâce à Dieu est un film qui a une architecture magistrale qui traite un sujet sensible avec toute une palette de nuances et une précision rigoureuse proche d’un documentaire.
Le choix de la fiction plutôt que du documentaire avait pour motivation de mieux interpeller les gens.
Le réalisateur François Ozon se défend de faire un film à charge contre l’Eglise.
« L’Eglise n’a toujours pas compris cela. On nous envoie des huissiers dans les salles de cinéma lors de rencontres avec le public en imaginant que l’on va nous coincer sur des propos que l’on pourrait tenir. »
S’il y a eu des pressions pour interdire le film de la part de l’église; des fervents catholiques ont remercié l’équipe du film lors des projections publiques.
Entretien de François Ozon avec le journal Pélerin